La loi du 12 avril 2025 portant accélération de la rénovation énergétique des copropriétés modifie profondément les règles de prise de décision en assemblée générale. Ces changements, entrés en vigueur le 1er juillet 2025, visent à lever les blocages qui paralysaient jusqu’alors de nombreux projets de rénovation dans les immeubles collectifs. Avec près de 10 millions de logements en copropriété représentant 28% du parc résidentiel français, ces évolutions constituent un levier majeur de la transition énergétique.
Nouvelles majorités pour les travaux énergétiques
Passage à la majorité simple pour certains travaux
La modification la plus significative concerne l’abaissement du seuil de majorité pour les travaux d’amélioration énergétique. Les travaux permettant d’atteindre au minimum la classe D du DPE relèvent désormais de la majorité simple de l’article 24 (majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés), contre la majorité absolue de l’article 25 auparavant. Cette évolution facilite considérablement l’adoption de projets d’isolation thermique, de remplacement de systèmes de chauffage ou d’installation de ventilation performante.
Les travaux éligibles à cette majorité allégée doivent répondre à des critères précis : amélioration d’au moins deux classes énergétiques, respect des normes techniques définies par décret, et réalisation par des entreprises certifiées RGE. Le syndic doit présenter en assemblée générale une étude technique détaillant les gains énergétiques attendus et le retour sur investissement. Cette transparence vise à éclairer le vote des copropriétaires et à limiter les contestations ultérieures.
Travaux d’office pour les passoires thermiques
Innovation majeure, les copropriétés comportant plus de 50% de lots classés F ou G au DPE peuvent voir certains travaux imposés d’office par arrêté préfectoral. Cette procédure exceptionnelle s’applique après mise en demeure restée infructueuse pendant 18 mois et concerne uniquement les travaux d’urgence énergétique : isolation de la toiture, remplacement des menuiseries les plus dégradées, calorifugeage des réseaux de chauffage.
Le coût de ces travaux d’office est réparti entre les copropriétaires selon les tantièmes généraux, avec possibilité d’étalement sur 10 ans sans intérêts. Les copropriétaires occupants modestes peuvent bénéficier d’une prise en charge partielle par un fonds de solidarité énergétique nouvellement créé. Cette mesure coercitive, bien qu’exceptionnelle, envoie un signal fort sur la priorité accordée à l’éradication des passoires thermiques.
Vote par lot pour les travaux privatifs d’intérêt collectif
Les travaux sur parties privatives ayant un impact énergétique collectif bénéficient d’un nouveau régime de vote. L’isolation des murs donnant sur l’extérieur, le remplacement de menuiseries ou l’installation de robinets thermostatiques peuvent être votés lot par lot, chaque copropriétaire ne votant que pour les travaux le concernant. Cette individualisation du vote lève le frein des copropriétaires ayant déjà réalisé des travaux similaires.
La coordination technique reste assurée par le syndic qui veille à la cohérence globale du projet. Les économies d’échelle obtenues par la mutualisation des commandes bénéficient à tous les participants. Les copropriétaires refusant les travaux sur leur lot ne peuvent s’opposer à la réalisation du projet global mais supportent les conséquences de leur choix (maintien de charges de chauffage élevées, exclusion de certaines aides collectives).
Renforcement du fonds de travaux
Montant minimal obligatoire porté à 10%
Le fonds de travaux obligatoire voit son montant minimal passer de 5% à 10% du budget prévisionnel annuel pour toutes les copropriétés de plus de 10 lots. Cette augmentation vise à constituer une épargne suffisante pour engager des travaux d’envergure sans recourir systématiquement à des appels de fonds exceptionnels qui découragent les projets. Les copropriétés déjà engagées dans un plan pluriannuel de travaux peuvent déroger temporairement à ce seuil.
La gestion du fonds de travaux se professionnalise avec l’obligation de placement sur un compte rémunéré distinct et la production d’un rapport annuel détaillant son utilisation. Les intérêts générés abondent automatiquement le fonds, créant un effet de capitalisation bénéfique sur le long terme. L’utilisation du fonds pour des travaux non énergétiques reste possible mais plafonnée à 30% du montant annuel disponible.
Affectation prioritaire aux travaux énergétiques
Une hiérarchisation stricte de l’utilisation du fonds de travaux privilégie désormais les interventions énergétiques. Les travaux d’isolation, de remplacement de systèmes de chauffage vétustes et d’amélioration de la ventilation bénéficient d’un droit de tirage prioritaire. Cette priorisation s’applique même en cas de travaux de sécurité non urgents, marquant un changement de paradigme dans la gestion patrimoniale des copropriétés.
Les syndics doivent présenter chaque année un plan d’utilisation prévisionnel du fonds de travaux sur trois ans, intégrant les diagnostics énergétiques et les opportunités de subventions. Cette vision pluriannuelle permet aux copropriétaires d’anticiper les dépenses et de planifier leur budget personnel. Le non-respect de cette obligation de présentation expose le syndic à des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de sa carte professionnelle.
Nouveaux outils de financement
Prêt collectif copropriété à taux bonifié
Les établissements bancaires partenaires d’Action Logement proposent désormais des prêts collectifs copropriété à taux bonifié pour les travaux de rénovation énergétique. Ces prêts, garantis partiellement par l’État, offrent des conditions avantageuses : taux fixe plafonné à 1,5%, durée jusqu’à 20 ans, absence de frais de dossier. La souscription se fait au nom du syndicat des copropriétaires, évitant ainsi les démarches individuelles fastidieuses.
Le remboursement s’effectue via les charges courantes, avec une quote-part individualisée selon les tantièmes. Les copropriétaires vendant leur lot peuvent solder leur quote-part par anticipation ou la transférer à l’acquéreur, selon les modalités votées en assemblée générale. Cette flexibilité résout l’épineuse question de la mobilité résidentielle qui freinait jusqu’alors l’engagement dans des travaux de long terme.
Tiers-financement énergétique
Le mécanisme de tiers-financement fait son entrée dans le monde de la copropriété. Des sociétés spécialisées peuvent désormais financer intégralement les travaux de rénovation énergétique, se rémunérant sur les économies d’énergie générées pendant une période contractuelle de 10 à 15 ans. Ce montage, déjà éprouvé dans le tertiaire, s’adapte aux spécificités de la copropriété avec des contrats types validés par les pouvoirs publics.
La garantie de performance énergétique constitue la clé de voûte du dispositif. Le tiers-financeur s’engage sur un niveau d’économies minimal, assumant le risque technique et financier. Les copropriétaires bénéficient d’une amélioration immédiate de leur confort sans décaissement initial, tout en conservant une partie des économies réalisées. La fin du contrat marque le retour à la pleine propriété des équipements et la jouissance totale des économies.
Impact sur la gouvernance des copropriétés
Rôle renforcé du conseil syndical
Le conseil syndical voit ses prérogatives étendues en matière de transition énergétique. Il peut désormais commander directement des audits énergétiques dans la limite de 5% du budget annuel, sans vote préalable en assemblée générale. Cette autonomie permet d’accélérer les phases d’étude et de présenter des projets mûris aux copropriétaires. Le conseil syndical devient ainsi un véritable moteur de la rénovation énergétique.
La formation des conseillers syndicaux aux enjeux énergétiques devient obligatoire dans les copropriétés de plus de 50 lots. Des modules spécifiques, financés par l’ANAH, couvrent la lecture des diagnostics, l’analyse des devis et le montage des dossiers de subvention. Cette montée en compétence des bénévoles compense partiellement le manque d’expertise technique de nombreux syndics sur ces sujets complexes.
Obligation d’information renforcée
Les syndics doivent désormais intégrer un volet énergétique détaillé dans leur rapport annuel de gestion. Ce document présente l’évolution des consommations, le coût de l’énergie, les travaux réalisés et leur impact, ainsi qu’un benchmark avec des copropriétés similaires. Cette transparence accrue sensibilise progressivement les copropriétaires aux enjeux énergétiques et prépare les décisions futures.
L’affichage des performances énergétiques devient obligatoire dans les parties communes. Un panneau normalisé présente le classement DPE de l’immeuble, les consommations mensuelles et les économies réalisées grâce aux travaux. Cette communication visuelle maintient l’attention sur les enjeux énergétiques et valorise les efforts collectifs accomplis.
Accompagnement et contrôle
Plateformes territoriales de la rénovation énergétique
Les régions déploient des plateformes d’accompagnement dédiées aux copropriétés, offrant un guichet unique pour les démarches de rénovation. Ces structures publiques proposent des diagnostics gratuits, une assistance au montage de dossiers et une mise en relation avec des professionnels qualifiés. L’objectif est de lever les freins techniques et administratifs qui découragent de nombreuses copropriétés.
Les conseillers de ces plateformes interviennent directement en assemblée générale pour présenter les dispositifs d’aide et répondre aux questions des copropriétaires. Cette présence neutre et experte facilite la prise de décision en dissipant les doutes et en objectivant les bénéfices attendus. Le suivi post-travaux assure la pérennité des performances et capitalise les retours d’expérience.
Contrôles et sanctions
L’Agence nationale de contrôle du logement (ANCL), créée en 2025, dispose de pouvoirs étendus pour vérifier le respect des obligations énergétiques en copropriété. Les contrôles aléatoires ou sur signalement peuvent aboutir à des mises en demeure assorties d’astreintes journalières. Les syndics négligents s’exposent à des sanctions administratives pouvant atteindre 15 000 euros et à la publication de leur manquement.
Les copropriétés vertueuses bénéficient à l’inverse d’un label “Copropriété engagée pour le climat” valorisant leurs efforts. Ce label, au-delà de son aspect symbolique, ouvre droit à des bonifications de subventions et facilite l’accès au crédit. Il constitue également un argument de valorisation immobilière, les acquéreurs étant de plus en plus sensibles aux performances énergétiques.
Cette réforme ambitieuse du droit de la copropriété marque une étape décisive dans la massification de la rénovation énergétique. En levant les blocages décisionnels et en proposant des outils de financement innovants, elle crée les conditions d’une transformation profonde du parc collectif. Le défi reste immense avec près de 5 millions de logements en copropriété classés E, F ou G, mais la dynamique est lancée. Les prochaines années diront si ces évolutions réglementaires suffisent à enclencher le changement d’échelle nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques nationaux.